Les tournées à vélo, on dépose le bilan.
Jan 2025
Thorembais les Béguines
En 2017, nous lancions nos tournées à vélo.
Huit ans plus tard, qu’en est-il ?
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Avons-nous atteint nos objectifs de sensibilisation, de sociabilisation et de décarbonisation ?
Je vous le dis tout net, on abandonne, et les raisons sont multiples et raisonnées.
Notre objectif était donc triple : sensibiliser à la mobilité douce, créer du lien en répartissant les contraintes organisationnelles entre les habitants, les comités et les associations partenaires, et nous imposer les contraintes d’une réduction de notre empreinte carbone.
Les deux premiers objectifs étaient liés dans la méthode : travailler avec les comités et les habitants pour qu’ils s’organisent afin de pédaler avec nous et qu’ils organisent nos repas et nos logements chez l’habitant. Cela impliquait une communication vers le public qui dépassait le cadre strict du spectacle.
La réduction de notre empreinte carbone reposait sur l’obligation d’un nombre de dates minimum : le fait de se déplacer en camion avec les vélos pour démarrer une tournée ne se justifiait que si les dates s’enchaînaient. Ainsi, un seul déplacement en camion permettait non pas une seule prestation mais un minimum de quatre jours de prestations qui s’enchaînaient à vélo.
Le bilan de tout cela est très mitigé, pour ne pas dire contre-productif à certains égards, et nous allons nous appuyer sur notre dernière tournée pour le démontrer.
Sept jours de tournée. L’organisateur, que la coordination d’une tournée à vélo oblige à plus de temps de travail et de préparation, s’adresse à un réseau de population déjà très actif et très sollicité dans le cadre d’épiceries locales, de groupes de réflexion, d’associations engagées socialement et environnementalement. Finalement, faute de forces vives, nous allons pédaler chaque jour avec un régisseur de centre culturel et être logés chez deux organisateurs, chez un bourgmestre et à l’hôtel. Les comités organisateurs vont faire plus de 700 km sur la semaine pour véhiculer les cyclistes, employés des centres culturels partenaires qui vont piloter un de nos vélos cargos, apporter les repas, transporter les bancs destinés à asseoir le public en décentralisation et nous conduire en fin de soirée vers notre logement, qui ne se trouve pas toujours dans les villages où nous jouons.
Par ailleurs, la tournée s’effectuant dans un rayon d’une trentaine de kilomètres, le public ne va pas profiter de notre passage à proximité directe pour venir voir le spectacle. De nombreux habitants vont préférer choisir le jour qui leur convient le mieux, quitte à faire des kilomètres en voiture pour rejoindre le lieu de représentation : 50 personnes en moyenne, 25 voitures par jour, soit, si on compte une moyenne de 20 km aller-retour par voiture, à peu près 3 000 km pour le public. Ajoutons à cela les déplacements des organisateurs locaux pour remplir les bars, notre aller-retour en camion sur le départ de la tournée, les déplacements pour organiser et évaluer l’événement avec tous les partenaires, et on peut estimer que 5 000 km ont été effectués en véhicules à moteur thermique. On ne peut pas dire que ce sont nos 150 kilomètres à vélo qui sauvent la mise.
Il faut ajouter à ces remarques le fait que si le spectacle que nous tournons permet d’installer jusqu’à 250 personnes lorsque nous pouvons installer le gradin que nous transportons dans le camion, dans le cadre d’une tournée à mobilité douce et de proximité, la quantité de public touché reste identique mais se répartit sur plus de prestations, et l’infrastructure réduite nous contraint à limiter la jauge à 70 places maximum. En résumé, nous ne touchons pas significativement plus de public en sept jours de mobilité « douce » qu’en deux jours de mobilité « dure », et ce alors que les coûts salariaux journaliers sont par contre identiques.
On peut déjà regretter, au vu de ces premières observations, qu’une tournée à vélo a un surcoût financier qui nécessite des moyens dont ne dispose pas le secteur culturel.
Réduire la taille d’un spectacle pour le tourner à vélo, c’est aussi réduire la technique et le nombre d’artistes, par exemple. S’inscrire dans le temps dans cette démarche et créer des spectacles spécifiques pour ce type de tournée implique donc une suppression d’emplois dans un secteur déjà précaire. Quid également des jours exclusivement roulés ? Qui paie l’équipe en déplacement sur un jour de trajet sans spectacle ? Car en cas d’accident de la route survenant dans le cadre d’une tournée, et ne fût-ce que par principe, un travailleur, même motivé par ce genre de démarche, doit être couvert par un contrat. Quid également de la diversité culturelle ? Est-ce qu’au nom de la décarbonisation, il faut se limiter à des prestations artistiques sans décors, sans marionnettes en bois, sans technique et aux équipes réduites ?
Donc, est-ce que c’est à la compagnie de théâtre seule, structure déjà extrêmement précaire, de faire l’effort, ou est-ce dans les déplacements des publics, les systèmes de chauffage des salles, la répartition des infrastructures culturelles sur le territoire, les incohérences de la société de consommation, la surproduction qu’il faut chercher des solutions ?
Enfin, une raison toute crue que je ne souhaitais pas émettre de prime abord tant elle aurait clos le sujet : mon arthrose sévère, qui m’impose des opérations chirurgicales sans pour autant atteindre mon moral. C’est bête, mais c’est ainsi : mon état de santé fait que je ne peux pas me permettre d’arriver sur une prestation lessivé et complètement endolori. Donc, doit-on décréter que les « vieux et les infirmes » sont inaptes à faire leur métier dès qu’ils ne sont plus en mesure d’assumer des tournées à mobilité douce ?
À notre échelle, la tournée en roulotte est ce qui répond actuellement le mieux à nos objectifs. Elle n’impose pas de contraintes de déplacements supplémentaires à l’organisateur, limite les déplacements de la compagnie sans charges d’hébergement pour l’organisateur, et permet une rencontre avec le public, pour peu que la roulotte ne soit pas isolée et que nous puissions aller acheter notre pain à pied, prendre un verre au bistrot du coin et papoter avec les villageois que la vue de la roulotte rend curieux de l’activité culturelle en cours.
Nous réenvisagerons éventuellement la question si la création d’un spectacle par nature léger germe un jour dans notre esprit.
Nous souhaitons le meilleur à ceux qui vont continuer de se battre sur ce terrain-là, en leur souhaitant de trouver des solutions professionnellement viables où il nous semble avoir échoué.