Shocking !

Shocking!

Alors que j’encadre un atelier marionnettes dans une école, j’ai l’occasion de dîner avec les enseignantes.
L’une d’entre elle revient d’un spectacle avec sa classe. « Alors ? » lui demandent les autres.
Elle pousse un soupir mais à ma vue, elle hésite. Je l’encourage, elle se lâche :
« J’ai été choquée et je ne sais pas comment je vais pouvoir parler de ce spectacle à ma classe (de maternelle) cette après-midi, mais j’ai du pain sur la planche... »
Les quatre autres s’inquiètent et questionnent sur le scandale manifeste qui nécessite l’organisation urgente d’un groupe de parole pour faire face au traumatisme collectif qu’ont subi les malheureuses petites victimes.
« Il était tout nu ! » « Comment cela tout nu ? » s’offusquent les autres. « Tout nu, il avait un sexe qui pendait et qui bougeait !» A la voir mimer le geste avec l’amplitude d’une trompe d’éléphant, je comprends que le geste est surtout à la mesure de sa sidération. « Mais rassure moi c’était la marionnette qui était nue ? « Oui, heureusement ! Et en plus, il s’habille en femme ! » « Non ?! En femme ! » réplique l’assemblée exclusivement constituée de femmes.
Mais quand même la question se pose : quel est le sens de tout cela ? « Il fait un rêve » répond l’enseignante, « il rêve de donner naissance à un enfant ». « Wath ? Un homme qui accouche ? » « Oui ! Enfin,... c’est un œuf, mais le plus grave, c’est que les enfants ne comprennent pas que c’est un rêve puisque le spectacle est non verbal et qu’on ne le leur dit pas... »
Ce n’est pas tof... Et bien si justement c’est du Tof...
Lorsque j’anime les ateliers, le nombre d’enfants qui déclarent ne pas aimer le théâtre à l’école me donne le tournis ! Mais comment cette classe là va-t-elle pouvoir s’exprimer face à une enseignante si partiale ? « Moi j’ai trouvé ça drôle qu’il soit tout nu... » « Mais dis donc Arthur, est-ce qu’on peut montrer son zizi à tout le monde ? » « Non madame... »
Pression sur l’enseignante : que vont dire les parents ?
Pression sur le bourgmestre : ce scandaleux zizi de carton va-t-il me faire perdre les érections ?
Pression sur le programmateur : prendra-t-il encore le risque d’exposer un zizi de papier, un sein de glace, une comédienne en short ou un propos politique.
Ne serait-il pas temps, avant qu’on ne se remette à brûler des sorcières, d’exiger des budgets spécifiques pour réencadrer les enseignants sur la manière dont on encadre les spectacles avec les enfants compte tenu que la fonction de l’art n’est pas d’être consensuel, mais d’exprimer et de faire éprouver des émotions afin de susciter le débat et d’éventuellement changer de point de vue ? Parallèlement à cela un gamin de 10 ans dans un des ateliers que j’anime nous joue un spectacle où le roi est pris la main dans la culotte de sa bonne. Devant les protestations de la reine et de ses enfants, il tue toute sa famille et massacre tout le palais. J’apprends par la suite que le divorce de ses parents se passe dans une violence extrême. Je le censure aussi ?
Pour certains « festiveaux » de théâtre de rue c’est parfois malheureusement, déjà trop tard.
En attendant, là où nous sommes censés faire progresser, on régresse, et faute de moyens nous accélérons la construction des murs.

Didier Balsaux